Ravitaillement à vide.
- Talia Chevassus
- 10 mai
- 5 min de lecture
S'entraîner pour des ultras avec un trouble alimentaire : un parcours personnel et des leçons précieuses pour les athlètes
Pendant des années, j’ai cru avoir “géré” mon trouble alimentaire — parfois, je pensais même l’avoir « résolu ». Mais la vérité, c’est que je trouvais juste des moyens de combler des besoins très basiques, en me concentrant sur des aliments riches en protéines mais faibles en calories. Et pourtant, j’évitais encore inconsciemment les calories dès que je le pouvais — aussi ridicule que cela puisse paraître, je choisissais le vinaigre de cidre plutôt que le balsamique car il était moins calorique ! Je pensais qu’ajouter une cuillère de tahini sur mes légumes (cuits sans huile) et me nourrir principalement de légumes verts pauvres en sucre et de tofu allait suffire à « recharger » après une sortie de 3h. En réalité, j’étais très loin de répondre aux besoins énergétiques d’une ultramarathonienne. J’étais tombée dans le RED-S (syndrome de déficit énergétique relatif dans le sport) sans même m’en rendre compte.
Qu’est-ce que le RED-S ?
Le RED-S survient lorsqu’un·e athlète ne consomme pas assez de calories pour couvrir les dépenses énergétiques liées à l’entraînement, à la récupération et à la vie quotidienne. Cela peut entraîner des déséquilibres hormonaux, une fatigue chronique et une baisse des performances. Je n’avais plus de menstruations, j’avais du mal à dormir et j’avais constamment froid — à tel point que j’ai dû arrêter la natation car je n’arrivais plus à réguler ma température corporelle. J’ai eu de l’aménorrhée et de l’insomnie pendant des années, sans jamais faire le lien avec le RED-S.
Et pourtant, une part de moi se sentait satisfaite de cette « minceur ». Je courais efficacement, je progressais à l’entraînement, mais j’ignorais complètement les signaux internes d’alerte.
Important : le RED-S touche aussi bien les femmes que les hommes — ce n’est pas un « truc de filles ».
La vraie bataille : santé mentale et performance
Le plus grand combat n’était pas physique, mais mental. Je justifiais constamment le fait de ne pas manger assez, en me disant que mes sorties étaient à basse intensité ou que j’avais déjà mangé un gros repas plus tôt. Je pensais pouvoir encaisser, mais au fond, je savais que mon corps n’avait pas ce dont il avait besoin.
C’était de l’auto-sabotage. Je faisais tout pour performer, sauf lui donner le carburant nécessaire pour vraiment y parvenir.
Comment prendre du poids m’a aidée à guérir
Quand j’ai enfin accepté de manger plus et de me laisser prendre du poids, ce fut un énorme bouleversement mental. Ça n’a pas été facile — il y a eu des larmes, de l’angoisse, notamment autour des périodes de chargement en glucides avant les courses et cette sensation d’être « grosse ». J’ai passé 9 heures en voiture pour aller à une compétition en pleurant, persuadée d’avoir l’air horrible.
Mais les bénéfices physiques ont été incontestables : j’ai retrouvé de l’énergie, mes performances en course sont meilleures, je suis plus régulière, mes règles sont revenues et je dors mieux. Bien sûr, les vieux réflexes restent — je me surprends encore à justifier une prise alimentaire insuffisante.
Ce que j’ai appris : l’importance de bien se nourrir pour performer et rester en bonne santé
Si tu es un·e athlète et que tu traverses quelque chose de similaire, sache que tu n’es pas seul·e. Il est facile de tomber dans un cycle de restriction alimentaire, surtout lorsqu’on ressent une pression à être mince ou une peur de prendre du poids. Mais la réalité, c’est que bien se nourrir est essentiel — non seulement pour ta santé, mais aussi pour tes performances sportives. La puissance a besoin de carburant, et ce carburant vient des calories que l’on consomme.
Voici quelques leçons que j’aurais aimé apprendre plus tôt :
🔸 Comprends tes besoins caloriques : Il est crucial de manger suffisamment pour soutenir ton entraînement et ta récupération. Le sous-alimentation nuit à la performance et mène, à long terme, à la fatigue, aux blessures et au surentraînement.
🔸 Écoute ton corps : Si tu as toujours froid, que tu es fatigué·e ou dans un brouillard mental constant, ce sont des signaux clairs que ton corps a besoin de plus d’énergie. Ne les ignore pas.
🔸 Le lien corps-esprit : Manger suffisamment peut être un vrai combat mental, mais c’est une étape essentielle du processus de guérison. Sois indulgent·e envers toi-même, avance avec patience. Nourrir ton corps n’est pas un signe de faiblesse — c’est un acte de force.
🔸 N’aie pas peur de prendre du poids : Prendre un peu de poids peut être le signe d’une guérison. Ce n’est pas un échec, ni le début d’une pente glissante vers l’obésité (ce que je croyais à l’époque), c’est simplement mettre ta santé en priorité.
🔸 Demande de l’aide : Si tu luttes avec des comportements alimentaires désordonnés ou que tu ne sais pas comment te nourrir pour performer, parle à un·e coach, un·e nutritionniste du sport ou un·e thérapeute. Tu n’as pas à faire ce chemin seul·e.
Pourquoi une bonne nutrition est cruciale pour les athlètes d’endurance
En tant qu’athlètes d’endurance, nous poussons nos corps à leurs limites. Mais cela n’est pas possible sans une nutrition adaptée. Courir des ultras, des marathons ou tout autre effort prolongé demande non seulement de l’engagement, mais aussi un carburant adéquat.
Sans cela, tu risques de saboter tous tes efforts — parfois sans même t’en rendre compte.
Quand tu t’alimentes correctement, tu ressens plus d’énergie, tu récupères plus vite, tu es plus clair·e mentalement, et tes résultats en course s’améliorent. Ton corps te dira merci.
Tu n’es pas seul·e : cherche du soutien
Si tu es perdu·e face à l’alimentation, que tu souffres de troubles alimentaires ou que tu ne sais pas comment adapter ton alimentation à ton entraînement, je t'encourage à en parler. Je sais à quel point ce parcours peut être difficile — mais tu n’as pas à le traverser seul·e. Travailler avec un·e professionnel·le peut changer la donne et t’aider à te réaligner avec ton corps et tes objectifs.
Conclusion : Se nourrir pour performer et pour sa santé
Le chemin vers la guérison est parfois long, mais prendre les bonnes décisions — comme
augmenter son apport calorique, faire confiance à son corps et demander de l’aide — peut vraiment tout changer.
Si tu veux te sentir plus fort·e, en meilleure santé et plus confiant·e dans ton entraînement, cherche du soutien. Ensemble, on peut faire en sorte que ton alimentation soutienne à la fois ta performance et ton bien-être.
Je ressens encore de l’anxiété à table, je justifie encore parfois de ne pas manger, ou de ne pas me ravitailler pendant mes sorties, et oui… je choisis encore parfois le vinaigre de cidre au lieu du balsamique. Mais j’ai vu à quel point bien m’alimenter a changé ma progression, et je te le promets : avoir l’air “mince et forte” vaut bien plus que “mince et affaiblie”. On combat nos troubles alimentaires une bouchée à la fois… tant qu’on continue de manger.
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